jeudi 3 septembre 2009, par Jean-Louis Moraguès, Nabil Ennasri , Nicolas Duntze
Un mouvement de mobilisation s’est constitué contre le projet de Georges Frêche, président du conseil régional Languedoc-Roussillon, de faire d’Israël le partenaire privilégié de la région (voir Politis n° 1060). Un projet dont la première étape serait l’implantation, en octobre 2010, de l’entreprise israélienne de fruits et légumes Agrexco.
Lancée le 23 mai dernier, la Coalition contre Agrexco compte aujourd’hui 83 membres : 20 organisations engagées nationalement (5 partis, 2 syndicats et 13 associations), 19 associations locales de soutien à la Palestine, dont 8 collectifs, 20 associations musulmanes locales et 24 associations locales diverses. La Coalition a déjà reçu le soutien chaleureux et enthousiaste du Comité national du BDS palestinien [1] et du centre israélo-palestinien Alternative Information Center (AIC). Fin juillet une délégation de membres de la Coalition (Cimade, CMF, CCIPPP, NPA) a été reçue en Palestine par le ministre de l’Agriculture, le Parc [2] et des associations de paysans (PFU, UAWC). Déjà informés de l’existence de la Coalition, ils ont prodigué soutiens et encouragements. D’ores et déjà, il nous paraît utile d’identifier quelques-uns des points moteurs de ce développement exceptionnel.
C’est une évidence de « l’après-Gaza » : les habitants des quartiers populaires, dont de nombreux Français musulmans qui s’étaient massivement opposés à la guerre contre Gaza, sont désormais une composante pérenne, en nombre, jeune et combative du mouvement de solidarité avec la Palestine. Cette solidarité s’exprimait jusque-là de façon sporadique, émotive et par identification, notamment lors des agressions criminelles israéliennes (massacres de Jénine…). Cette composante a trouvé dans les objectifs et les actions de la Campagne BDS [3] les pleines modalités de son expression, et joue un rôle très actif dans la Coalition. En témoignent ces initiatives réussies pour la journée du 25 juin à Montpellier : marches contre l’apartheid et contre Agrexco de Nîmes à Montpellier à l’appel de Résistance 30, et de la Paillade à l’appel du comité BDS Montpellier. La lutte contre Agrexco, qui concentre à la fois le boycott (des produits israéliens), le désinvestissement (pas d’argent public contre le peuple palestinien) et les sanctions (refus de la politique israélienne) est un facteur décisif de mobilisation. Passer à l’action pour sanctionner la politique criminelle de l’État d’Israël constitue aujourd’hui l’aspiration dominante, bien au-delà des quartiers populaires, de l’ensemble de la population éprise de justice.
En mêlant habilement la redynamisation de l’activité du port de Sète, gravement sinistré, par l’injection de 200 millions d’euros sur dix ans avec la création de 200 emplois portuaires imputés abusivement à la seule implantation de l’entreprise israélienne exportatrice de fruits, légumes et fleurs Agrexco, le président du conseil régional du Languedoc-Roussillon espérait museler toute opposition au choix d’Agrexco. Mais, en pleine guerre contre Gaza, l’annonce de ce projet construit dans l’opacité la plus totale dans une région économiquement sinistrée a déclenché réactions et colère. Il est apparu inacceptable, au prétexte d’un sinistre économique, de signer des contrats commerciaux avec des opérateurs volant les terres des paysans palestiniens, les réduisant à l’exil ou à la servitude sur leurs propres champs. Qu’au nom d’une conception de l’emploi dictée par la seule croissance et la compétition internationale on puisse s’exonérer de morale politique. Il est apparu que la politique israélienne devait être sanctionnée, le droit international appliqué. Il est également apparu que ces valeurs ne sauraient constituer l’apanage d’un internationalisme déconnecté des problèmes locaux engendrés par cette économie sauvage. Dans un communiqué du 22 juin 2009, la Confédération paysanne déclarait : « Agrexco à Sète ? La fin des paysans programmée ! » Enfin, nous allions pouvoir sortir du mode de solidarité traditionnel cloisonné qui rassemble « ici » pour un soutien « là-bas », et ainsi élargir le front de la simple solidarité exogène en travaillant concrètement « ici », localement, à l’émergence d’une autre vision politique de l’économie et des échanges. Ces logiques de solidarité impliquent de nouvelles réciprocités entre partenaires, et il faut espérer que le mouvement de solidarité avec la Palestine s’en trouvera enrichi. Ainsi est née une construction originale et porteuse d’espoir : la Coalition contre Agrexco. Il est rare de pouvoir fédérer aussi largement sur un dossier difficile. Sa transversalité le permet. De là découle une forme d’organisation « horizontale ». Bien que largement initiée par le mouvement de solidarité avec la Palestine, elle offre plusieurs portes d’entrée : solidarité avec la Palestine et BDS, respect des droits humains et du droit international, avenir des paysans dans le monde, emploi local des Sétois et emploi régional des paysans, sécurité alimentaire, nature des échanges commerciaux et solidarité internationale, non-violence, environnement, écologie, commerce éthique…
Cette alliance basée sur le pari d’une possible synergie des convergences que les intérêts multiples vont créer impose aussi des exigences. Celles de la pédagogie, de la compréhension mutuelle, du respect des motivations et des « portes d’entrées » de chacun ; et celles de la prise d’initiatives multiples et décentralisées qui, prenant pour base l’Appel de la Coalition, sauront l’adapter aux réalités locales en fonction des forces locales. Seul cet essor d’initiatives locales donnera à la Coalition sa véritable ampleur nationale.
* Nicolas Duntze est membre de la Confédération paysanne, Nabil Ennasri du Collectif des Musulmans de France, et Jean-Louis Moraguès de la Campagne civile pour la protection du peuple palestinien.
Notes
[1] BDS : « Boycott, désinvestissement, sanctions ».
[2] Palestinian Agricultural Relief Committees (Parc) est une organisation non gouvernementale créée par des agronomes décidés à offrir des services et conseils aux fermiers palestiniens.
[3] Campagne lancée en juillet 2005 par 172 organisations palestiniennes représentatives de toutes les composantes du peuple palestinien : réfugiés, Palestiniens sous occupation et Palestiniens d’Israël.
source:
http://www.politis.fr/article7907.html
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